Le fantôme de Marie-Antoinette hanterait-il
Versailles ? A en croire certains témoignages et une légende persistante, la réponse pourrait être oui.
Tout a commencé en 1901, par une chaude après-midi d'août. Deux Anglaises profitent de leur séjour à Paris pour découvrir le château de Versailles : Charlotte Moberly, directrice d'une école d'Oxford et sa collaboratrice, Eleanor Jourdain. Très vite, elles tombent sous le charme des lieux.
En cherchant à rejoindre le Petit Trianon, Charlotte et Eleanor sont envahies par une étrange sensation de rêverie : "Les arbres, les feuilles, le paysage ne nous parurent plus naturels, et tout prit l'aspect rigide et figé d'une tapisserie", raconteront-elles.
Elles se perdent en cherchant le Petit Trianon et commencent à se sentir oppressées. Elles aperçoivent alors deux hommes portant un long manteau et un tricorne, bêches à la main, qui leur indiquent le chemin : des jardiniers, selon elles. Puis, arrivées près d’un cottage, Eleanor Jourdain remarque à l’intérieur une petite fille de 12-13 ans environ et une femme, toutes deux vêtues d'un costume suranné. Enfin, elles arrivent à un pavillon chinois qu’elles prennent pour le Temple de l’Amour. L’atmosphère est de plus en plus pesante. Annie se sent prise d’angoisse lorsqu’un homme assis au pied du pavillon tourne vers elle un visage inquiétant et vérolé. Tous ces visages semblent appartenir à une époque passée...
(à gauche : Charlotte Anne Moberly, à droite : Eleanor Jourdain)
C’est alors qu’un autre homme, grand et séduisant, affublé d'une cape noire, s’arrête et leur dit quelques mots dont elles ne comprennent qu’une chose : il faut tourner à droite. Les visiteuses parviennent près d’une petite maison aux volets clos. Sur la pelouse, Annie aperçoit une femme en train de dessiner. Elle porte une robe de style particulier, un fichu vert et un chapeau blanc, mais surtout elle a une allure princière. La femme lève la tête et de nouveau Annie ressent une impression étrange. Les deux femmes arrivent à la hauteur de la maison suivante. Une porte s'ouvre, en sort un jeune homme qui leur donne l’impression d’être un serviteur. Celui-ci les mène jusqu’à Trianon où elles sont brusquement ramenées à la "réalité" par une noce.
Il faudra un peu plus d'une semaine à Charlotte Moberly et à Eleanor Jourdain pour évoquer leur singulière expérience. Ont-elles fait un voyage vers le passé ? Etait-ce simplement un rêve ou ont-elles réellement côtoyé une autre réalité ? Les questions restent sans réponses. Elles décident alors d'écrire chacune de leur côté le récit de leur aventure pour mieux confronter ensuite leurs souvenirs.
A l'aube de l'hiver 1901, Charlotte et Eléanor se retrouvent. Elles découvrent que certains éléments de leurs récits diffèrent. Seule Charlotte a vu la femme dessiner sur le perron d'une maison, et son visage ressemble étrangement à un portrait de Marie-Antoinette signé Adolf Ulrik Wertmüller (cf. image d'en-tête). De son côté, Eleanor a croisé du regard une jeune fille dans les allées du parc, Miss Moberly ne garde aucun souvenir de cette rencontre.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. En janvier 1902, elles se rendent de nouveau à Versailles. L'expérience se renouvelle par des perceptions étranges et une musique dont elles essaient de se remémorer.
En 1904, Charlotte et Eleanore recommencent, mais cette fois la magie n'opère plus. C'est seulement en 1908 que Miss Moberly, effectuant seule le voyage, est à nouveau la spectatrice de scènes d'un autre temps : elle croit reconnaître des Gardes Suisses fidèles à Marie-Antoinette, des jardiniers, un kiosque à musique au style chinois...
Le Petit Trianon serait le refuge des fantômes du passé. Elle défendra ce point de vue avec Eleanor dans lelivre
An Adventure, publié en 1911, qui rencontrera un franc succès. Après de nombreuses recherches, elles acquirent la certitude d'avoir rencontré le fantôme de Marie-Antoinette, et émettent des hypothèses sur les autres personnes croisées : l'homme à la figure vérolée serait le compte de Vaudreuil, l'un des jardiniers Antoine Richard.
(Le Petit Trianon)
L’expérience fut discutée dans de nombreuses revues de parapsychologie (The Journal of Parapsychology, The Journal of the American Society for Psychical Research, The Journal for Psychical Research in London et Proceedings of the Society of Psychical Research in London).
L'affaire passionna le grand public et les parapsychologues français.
Les Fantômes de Trianon fut publié en 1959 avec une préface de Jean Cocteau et une introduction de Robert Amadou.
Alors, que croire ? Ces visions étaient-elles réellement fantomatiques, ou simplement des hallucinations, voire le fruit de l'imagination ? Les éléments fournis par les protagonistes de l'affaire (comme des précisions historiques qu'elles ignoraient totalement à l'époque des faits) tendraient à faire croire à la véracité de leur témoignage. Mais des erreurs historiques furent remarquées. On suggéra plus tard qu’elles avaient croisé des acteurs costumés et trop voulu croire à leur histoire.
La légende ne s'arrêta pas là. Après la publication du livre, la famille Crooke, qui avait habité la région de Versailles de 1907 à 1909, prétendit avoir vu la reine en 1908 ainsi qu'un autre personnage en costume du XVIIIe siècle. En 1928, deux Anglaises rapportèrent une rencontre du même type. En 1935, un Français, Robert Philippe, aurait échangé quelques mots avec une femme que ses parents ne voyaient pas et qui aurait disparu mystérieusement. Le 21 mai 1955, un avoué londonien et sa femme croisèrent à Trianon une femme et deux hommes habillés comme sous l'Ancien Régime.
En février 2009, sur le forum de Besoin de Savoir (portail sur l'ésotérisme et le paranormal), une internaute révélait sa propre expérience vécue en clairaudience : "J'ai vécu cette expérience sans la provoquer, c'était en Août 2008. J'avais décidé d'aller à Versailles. La beauté m'a souvent élevé l'âme. Dans la nature, souvent, elle m'encourage à prier. Arrivée dans la chambre de la reine, Marie-Antoinette, un frisson m'envahit soudain... Un voile intérieur se dépose en moi. Mes yeux soudain se ferment. Je reste debout devant le lit environ trois minutes. J'ai curieusement la volonté de marcher ainsi. Je n'y arrive pas. Dans les jardins, c'est de nouveau la même chose. Je suis un peu plus seule et j'essaie de marcher à nouveau. Deux, trois, quatre minutes s'écoulent et je n'y arrive toujours pas. Je réussis à rejoindre finalement Le Petit Trianon et je me mets à parler à haute voix...seule. Mais, c'est un échange qui se fait.... Je me laisse volontiers aller à ce discours sans juger. Cette voix me parle de ses regrets, de ce peuple qu'elle aimait tant et qui ne l'a pas comprise. Elle aime Versailles. Elle s'y promenait souvent. Elle se sent très heureuse ici. Nous sommes dans son petit coin de campagne. Elle semble triste que ce lieu ne soit pas bien respecté. Le mot clé reçu était : "l'empereur". Par la suite en effectuant chez moi des recherches historiques, j'ai appris que l'empereur le plus proche était : son frère."
Pour ma part, ne connaissant pas suffisamment le dossier dans ses moindres détails, je me garderai bien d'émettre un avis certain et définitif sur ces histoires de fantômes. Pour moi, tout est là : si l'on croit à l'existence des fantômes et des esprits qui hantent les lieux, alors oui, ces témoignages peuvent être vraisemblables, car Marie-Antoinette a toujours adoré son Petit Trianon, dans lequel elle pouvait, aux côtés de ses intimes, échapper aux pesanteurs de Versailles. Le fait qu'elle continue à le hanter serait donc logique. Mais les fantômes existent-ils ?...
Mon esprit cartésien me ferait plus pencher vers la thèse de l'hallucination (ou quelque chose qui s'y apparente) que celle du paranormal : la fascination que l'on peut ressentir en se promenant dans ces lieux chargés d'histoire, alliée à d'autres facteurs psychologiques, pourrait selon moi susciter de telles expériences.
Quoiqu'il en soit, c'est une expérience inoubliable que ces personnes ont vécu et bien des gens la leur envient. Alors, que tout ceci soit réel ou fantasmé, du rêve ou du paranormal, au final, peu importe... Les deux Anglaises auront vécu quelque chose de très fort, et l'écrivain J.R.R. Tolkien (oui, l'auteur du Seigneur des Anneaux), citera leur expérience comme l’une des influences l’ayant profondément marqué...