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Les adieux à la reine, de Benoît Jacquot

Les_Adieux_a_la_Reine_afficheJ'ai beaucoup hésité à aller voir ce film. Bien que l'époque me passionne, je saute rarement de joie à l'annonce d'un long-métrage sur - ou avec - Marie-Antoinette. Et pour cause, la plupart ne rendent pas justice au personnage, le cantonnent dans ses éternels clichés (frivole, dépensière...) et versent dans la désinformation. Alors, on me dira que je suis trop puriste et que le cinéma n'a pas à respecter la véracité historique. Soit. (mais dans ce cas, pourquoi faire un film historique, je me le demande ?)
Face au concert d'éloges de la presse, je me suis finalement laissée tenter... sans grande conviction toutefois.

Le film raconte les jours ayant suivi la prise de la Bastille, vus sous les yeux de la lectrice-adjointe de Marie-Antoinette, Sidonie Laborde. C'est une adaptation du roman de Chantal Thomas, du même titre (Prix Femina 2002). On assiste aux derniers jours de la monarchie à Versailles, l'agitation qui gagne les nobles, le désarroi du pouvoir.

Mon verdict ? Plutôt mitigé. Il y a certes de très bonnes choses dans ce film. Les costumes d'abord, tous plus magnifiques les uns que les autres (j'ai adoré les tenues de Marie-Antoinette que je trouvais surprenantes de modernité). Le jeu d'actrices ensuite. Diane Kruger, avec son léger accent allemand, est plutôt convaincante en reine de France (bien plus que ne le fut Kirsten Dunst). Léa Seydoux, qui campe l'héroïne, est délicieuse. Les Américains la comparent même à Scarlett Johansson. Elle joue impeccablement bien son rôle d'amoureuse transie de lectrice dévouée à la reine. La tension qui règne à Versailles suite à l'onde de choc provoquée par la prise de la Bastille est bien rendue. Et pour l'amatrice du XVIIIe siècle que je suis, voir défiler cette galerie de personnages proches de la reine (Madame Campan, Gabrielle de Polignac...) est un véritable régal.

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Hélas, le plaisir s'arrête là. Je n'ai pas adhéré au portrait de Marie-Antoinette dressé par le réalisteur Benoît Jacquot, mais alors pas du tout. Elle est montrée comme désespérément frivole, capricieuse, cyclothymique (passant d'une extrême gentillesse à l'indifférence la plus pure). Mais surtout, l'auteur a donné corps à l'une des calomnies les plus abominables subies par la reine en son temps : celle du saphisme.

Sofia Coppola avait mis en scène une adolescente frivole et ingénue, chez Jacquot, elle est carrément présentée comme lesbienne. Ce qui, du point de vue historique, est bien sûr faux. L'amitié particulière entre la reine et la duchesse de Polignac était certes forte mais elle n'a jamais dépassé le stade amical. Marie-Antoinette était d'ailleurs tout sauf portée sur la sensualité. Une sensualité qui est l'un des éléments-clé du film, avec des scènes de nudité racoleuses. Coppola, en versant dans le mythe d'une relation adultère entre la reine et le comte de Fersen, était même plus proche de la vérité. Bref, comme si les clichés entourant la reine n'étaient pas suffisants, il fallait aussi rajouter celui du lesbianisme. 
On me dira que ce n'est qu'un film, qu'il n'a pas à être strictement dans le vrai... Mais quand je lis les commentaires des spectateurs, et que la plupart disent : "Le personnage de la reine est crédible", cela m'agace un peu. Il ne leur viendrait pas à l'idée de prendre avec distance les arguments du film... Ce qui me gêne, c'est donc moins la non-véracité historique que le fait que les spectateurs prennent ce genre de portraits pour argent comptant.
La duchesse de Polignac n'est pas non plus épargnée. Elle est d'ailleurs insuffisamment développée, malgré une Virginie Ledoyen somptueuse. Il faut croire que l'Histoire se répète, car traitée de "putain", elle est victime des mêmes calomnies que de son vivant.
Etonnamment, le personnage de Louis XVI, interprété par Xavier Beauvois, s'en sort presque bien. Il est montré comme courageux et soucieux de son peuple.

Les-Adieux-à-la-ReineJe ne comprends pas pourquoi les cinéastes se sentent obligés d'avoir recours à des artifices pour pimenter leurs oeuvres, car pour moi, la Révolution française est une période passionnante en soi. Pas besoin d'en rajouter. Il en est de même pour le personnage de Marie-Antoinette. Inutile d'en faire une dévergondée, à la sensualité débridée. C'est une personne complexe, aux multiples facettes : femme moderne, mère exceptionnelle, reine charitable...
A quand un film qui développerait Marie-Antoinette en tant que mère ?
De même, les derniers jours de la famille royale au Temple seraient un sujet poignant pour un long-métrage...
A croire que les spectateurs aiment les idées reçues. Ce doit être le cas quand on repense à l'accueil réservé au téléfilm L'évasion de Louis XVI sur France 2, qui avait suscité la polémique car il dépeignait un portrait inhabituel du roi, loin des clichés du gros balourd incapable.
Pour beaucoup, Les adieux à la reine est l'un des meilleurs films français de l'année. Pour ma part, j'attends toujours LE film sur Marie-Antoinette. Qui la décrira telle qu'elle était vraiment. Et non pas telle qu'elle était décriée.

 

ps : Pour avoir une analyse plus rigoureuse de la relation entre la reine et sa favorite, je vous invite à lire l'ouvrage de Nathalie Colas des Francs, Madame de Polignac et Marie-Antoinette : Une amitié fatale(Les 3 orangers, 2008).